On est dimanche 22 décembre. Il y a 11 ans
disparaissait Joe Strummer. On est aussi à 3 jours de Noël. Autant dire
que venir à Lille un dimanche d’avant-veille de Noël, c’est tout un
périple. Heureusement, il y a le Rock Baby Fest. Hasard heureux du
calendrier ou date délibérément choisie en mémoire du grand Monsieur
Strummer ? En tout cas, ça tombe plutôt bien. Ça commence tôt, vers
16h00, et ça finit tôt, vers 18h00. C’est déjà la 7ème édition de ce
festival lillois pas comme les autres. Comme son nom l’indique, il
s’agit d’un festival destiné aux enfants, et à leurs parents bien sûr.
Ici, point d’Henri Dès, ni d’Anne Sylvestre, ni de Chantal Goya, mais
des groupes déjà connus de la scène régionale, des animations, des jeux
et des bambins ! Ça se passe au Bistrot de St So, lieu hautement recommandable, qui à
chaque fois que j’y mets les pieds me fait envier les lillois de
posséder un tel équipement. Une fois à l’intérieur, on est ailleurs.
Berlin, Londres ou quelque part en Europe. Il y a un esprit particulier. Ça n’est pas une institution coincée entre son design clinquant ou son
architecture précieuse post moderne, c’est un lieu recyclé, un ancien
entrepôt ferroviaire, des briques et des baies vitrées, un bar au
comptoir tout en longueur, où il est agréable de poser le coude. C’est
sans doute, avec le Tripostal, ce que Lille3000 a su le mieux pérenniser
de ses reliques industrielles mises en valeur, provisoirement à
l’origine, lors des festivités de Lille 2004. Il y a aussi une belle
grande scène, un espace de jeux aux murs recouverts de noir d’ardoise où
les kids peuvent s’éclater à dessiner ce qui pour nous ne seront que
des patates écrabouillées, mais qui sont pour eux des Spider-man, des
lapins ou des crapauds. Ici on a compris que le public des concerts ou
des événements culturels vieillissait et que devenu parent, il avait
besoin d’un nouveau concept adapté. A l’anglo-saxonne quoi. Enfin. Il
était temps de piger ça. Nos voisins européens ou nos cousins d’outre
atlantique ont compris ça il y a des lustres et cela a contribué à
éveiller et épanouir des milliers de kids qui devenus ados se sont mis à
écumer les festivals, à la grande surprise de nous autres pauvres
français dont les préjugés « cultureux » des générations précédentes,
excluaient le rock, les sous-cultures des repères habituels. Bref, je
surkiffe le St So !
Cette édition 2013, la 7ème déjà mine de rien, propose 2 groupes. L’un
est connu depuis quelques années maintenant, l’autre fait son entrée
dans la cour des grands mais ses membres sont d’illustres musiciens du
cru ayant déjà longuement fourbi les armes dans des groupes aux succès
mérités et au background hautement respectable. Il y a déjà du monde à
16h. Il y a quelques enfants accolés à la scène et des parents sagement
assis, sirotant leur Jupi ou leur Jade à 3,50€ (je trouve ça un poil
cher tout de même !). Le groupe qui ouvrira le bal c’est BURNING LADY.
J’ai déjà vu ce groupe il y a 2 ou 3 ans à Arras lors du Festival du
Porte Voix, annexe musicale du Salon du 1er Mai, salon du livre et de la
critique sociale (où tout le monde critique la société mais vend son
bouquin, son merch à prix capitaliste !, Mais cela est une autre
histoire.) et j’en ai un souvenir mitigé. Le groupe évoluait dans un
sweet-street-punk, avec des singalongs de bon aloi, des « who-hohooo »
bien sentis et une frontwoman qui assurait plutôt bien son rôle. Mais
j’ai souvenir aussi de titres très répétitifs, qui ne se distinguaient
pas toujours les uns des autres. Au final, je suis assez content de les
revoir, même dans ces conditions particulières, histoire de voir où ils
en sont, surtout depuis qu’ils tournent beaucoup, en France et en
Europe. Et c’est une belle évolution musicale qui m’attend. On n’est pas
dans du crust ni du punk à iench ici, mais pas non plus dans du
mall-punk ou de la soupe-pop-punk. Non, on est dans un registre qui
allie sensibilité punk, éclaircies folk, powerpop de haute volée,
ouvertures vers un poil de ska ou de reggae à la Clash. Les BURNING LADY
sont en version acoustique aujourd’hui, histoire de s’adapter au
concept et aux oreilles de nos chers bambins. Moi aussi je suis venu en
famille. Bah oui, je suis aussi un daron maintenant et comme on ne se
refait pas, j’emmène notre princesse rock là où il faut. Le trio (le
4ème membre est aux manettes de la console il me semble) va proposer des
versions acoustiques des titres de son album. C’est évidemment moins
rageur et moins urgent, mais ça fonctionne, parce que leurs chansons
sont de vraies chansons. Y’a pas de mystère, quand c’est bien composé,
ça marche, que ça soit avec un accordéon, un piano à queue ou une
guitare folk. Chaque titre joué est entrecoupé d’un récit, épisode d’une
histoire sans doute inventée pour l’occasion, qui raconte l’odyssée
d’une araignée. Ça fonctionne aussi plutôt bien et les bambins du 1er
rang (dont ma fifille) adhèrent. On sent le trio bien rôdé, bien en
place et la scène est leur terrain de jeu. N’empêche qu’il y a ce truc
bizarre de « spectacle pour enfants » qui pourrait gêner aux
entournures. Qu’importe, et même, tant mieux ! Si tous les spectacles
pour enfants du monde pouvaient avoir cet aspect, cette couleur, ces
envolées fiévreuses et ces backing vocals à reprendre en chœur, il y
aurait sans doute moins de traumatismes provoqués par des intermittents
avec un BAFA et une admiration sans bornes pour Goldman ou Zaz (et
merde, j’ai placé Zaz dans mon report !). Le set des BURNING LADY est
court, efficace et plutôt bien amené. J’ai aimé l’adaptation de leur
univers à un public avide de rires, de sourires, de bonne humeur, de
plaisirs primaires. L’expérience a porté ses fruits et les parents
semblent aussi avoir apprécié.
Pendant le changement de plateau, je me retrouve à discuter avec
d’éminentes personnalités du réseau musical local. Manière enjolivée de
dire amis activistes importants de la scène. Je croise Jérémy, on
discute de la situation des bars concerts, du GEMAL (collectif crée
suite aux menaces de fermetures administratives de plusieurs lieux de
concerts occasionnels lillois). Je croise Bastien (Tang, Persian
Rabbit), on cause musique, souvenirs, famille, 90’s, scène actuelle.
Puis le second groupe démarre. Il faut dire que nous sommes là en grande
partie pour eux, les GYM. Depuis quelques semaines, on ne parle que
d’eux, on sent le buzz monter, on sait qu’il se passe un truc autour de
ce nouveau groupe. J’avais reçu leur EP avant sa sortie, il y a un mois
ou deux. On me demandait mon avis. J’avais su rester hyper objectif et
ma foi, plutôt sensible à la démarche. GYM, c’est un trio lillois. Les
membres sont tous issus de diverses formations. Le bassiste, Nico,
officiait dans les regrettés BLY, groupe qui a inspiré, influencé toute
une génération de musiciens de la région, c’était dans les années 90,
début 2000. Le batteur c’est Nicolas Bertin, déjà vu dans d’innombrables
combos plus ou moins underground. Un bosseur. Un mec passionné. Et
talentueux. Ce soir il joue sur une batterie électronique avec pads et
loops. Le gars est métronomique au possible. Rien ne dépasse, c’est
hyper calibré au millimètre. Quant au chanteur, Jérôme, il est aussi la
voix de ROKEN IS DODELIJK. Je ne connaissais pas trop ce groupe mais
j’avais suivi de loin leurs pérégrinations musicales (et quelques
passages radios sur France Inter notamment). Cette voix un peu éraillée
mais douce, un peu charbonneuse, vaporeuse, comme un matin d’hiver. Une
voix particulière, une vraie signature vocale qui ne laisse personne
indifférent.
Pour parler peu, parlons bien. J’attendais ce groupe au tournant. Me
méfiant comme de la peste des « projets » musicaux, me méfiant de
l’aspect dance très formaté de beaucoup de productions actuelles. Mais
comme lors de l’écoute de leur EP, j’ai retrouvé une touche très
personnelle. Le passif musical du trio sert à merveille un univers
certes dansant mais hautement référentiel. Pour simplifier le fond de ma
pensée, je dirais que GYM reprend les affaires là où un groupe comme
Radio 4 les a laissées. C'est à dire que GYM redonne au rock son essence
"Dance", son indispensable nécessité à faire bouger. GYM s'exprime en
anglais. Les beats sont entre électro-rock et rock 80's. C'est aussi dû à
la batterie électronique. On pense bien sûr à M83, on pense à New
Order, on pense à la New Wave des 80’s, au Cure aussi, on est également
dans des valeurs actuelles plutôt rock, à l’anglaise, ou à la belge,
malgré l’absence de guitare. Je ne pensais pas qu’un jour j’aurais
apprécié un groupe sans guitare ! Le traitement sonore de la basse, les
boucles de claviers, l’ensemble des arrangements, pourtant simples,
comblent le manque et je suis étonné de la qualité en live. Là aussi le
groupe a adapté (avec moins de sérieux et plus de dérision) son set au
concept. Jérôme, le chanteur, enverra ses petites blagues en direction
des enfants, qui ne comprendront pas ses allusions, mais qui feront rire
les parents (« Les enfants, savez-vous faire l’hélicoptère ? Non, vos
papas vous expliqueront ! ». Ben voyons…). Les kids sont de plus en plus
nombreux et montent sur la scène, bougent (le verbe danser étant un peu
présomptueux), participent à ce spectacle avec enthousiasme, preuve que
donner du rock, de la musique de qualité aux enfants, leur fait du bien
! A mi-parcours du show, on comprend alors toute l'attention qu'a
suscité le groupe. C'est déjà très bon, très en place, maîtrisé d'un
bout à l'autre. Ces garçons connaissent l'alchimie et les algorithmes,
connaissent le binaire sans jamais êtres primaires. Je leur prédis un
bel avenir. Peut-être seront ils le premier wagon accroché à la
locomotive SKIP THE USE pour tirer vers le haut notre scène musicale
régionale, dans les médias nationaux et internationaux (parce que nous
dans le nord, on connait nos valeurs sûres et la richesse de notre scène
musicale). La fin du show ressemble à un concert hardcore où tout le
Crew est sur scène. Sauf qu’ici, ce sont des marmots, qui s’intéressent
plus aux ombres portées sur le mur du fond de scène, aux spots bleus,
aux pieds de micros sur le côté qu’au groupe. C’est un tableau
surréaliste, dans lequel tout semble échapper au contrôle, c’est
désorganisé, c’est bordélique mais tellement spontané et bourré
d’énergie enfantine que ça en devient génial. Aucun débordement
pourtant, ça reste dans les clous et ça ressemble presque à un clip
vidéo. Fin du spectacle. Le groupe a convaincu.
Place au Père Noël, aux
jeux d’estaminets installés vers la sortie. Il y a du monde, c’est
blindé, intergénérationnel et pluriculturel. On peut appeler ça un
succès. Chapeau à l’asso organisatrice et au St So. Les esprits de Noël
et de Joe Strummer planaient incontestablement cette fin d’après midi,
pour le plus grand plaisir des grands et des petits, comme on dit.
Vivement la 8ème édition!
**Chris Hamilton**
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